Comment impliquer davantage ses collaborateurs dans la réussite de l'entreprise ? Comment concilier performances et bien-être au travail ? De Danone à Carrefour en passant par Daher, de plus en plus de dirigeants se tournent vers le management par subsidiarité. Adaptation d'un concept né de la philosophie politique, il ouvre le champ des possibles quant à la réalisation du Bien Commun dans le monde du travail. On vous dit tout sur le principe de subsidiarité en entreprise, au cœur des nouvelles techniques d'innovation managériale.
À retenir sur le principe de subsidiarité en entreprise :
Le principe de subsidiarité en entreprise consiste à renverser la pyramide des décisions en faveur de l'autonomie des collaborateurs. Appliquée au management, la subsidiarité permet :
Le Bien Commun a par ailleurs une seconde signification chez le précepteur d’Alexandre le Grand. Vous avez déjà peut-être entendu cette célèbre affirmation d’Aristote : « l’homme est par nature un animal politique ». L’élève de Platon entend par là que nous sommes naturellement faits pour vivre en société. Si nous n’appartenions à aucune forme de communauté, que ce soit une famille, un village ou une nation, nous nous retrouverions dans une solitude insupportable, presque inhumaine pour Aristote. Par ailleurs, le fait que nous soyons doués de la parole nous permet d’organiser cette vie en communauté. Et c’est là qu’intervient la notion de Bien Commun. C’est en le recherchant que nous pouvons organiser au mieux notre vie au sein des communautés auxquelles nous appartenons. Aristote définit le Bien Commun comme la finalité même de toute société : « Et c’est en vue de l’avantage de ses membres, pense-t-on généralement, que la communauté politique s’est constituée à l’origine et continue à se maintenir. Et cette utilité commune est le but visé par les législateurs, qui appellent juste ce qui est à l’avantage de tous. » Autrement dit, pour Aristote, la recherche du Bien Commun est la raison même de l’existence de la société. De ce fait, le Bien Commun doit être recherché par chaque individu et chaque communauté.
Bien qu'il ne le nomme pas expressément, Aristote conçoit déjà l'organisation de la vie de la cité selon le principe de subsidiarité. Pour le philosophe grec, c'est un élément clé d'une société tournée vers le Bien Commun. Chaque groupe qui compose la communauté doit pouvoir accomplir les tâches nécessaires qui répondent à ses besoins spécifiques. La famille subvient à ses besoins dans la vie quotidienne, le village aux besoins de "la vie quotidienne élargie". C'est, pour Aristote, la condition essentielle à l'application d'une justice distributive et proportionnelle, que l'on pourrait résumer par le fait de "donner à chacun son bien propre".
Cette idée va être reprise et enrichie par Saint Thomas d'Aquin au XIIe siècle. Pour le théologien, le rôle de l'organisation politique se borne à "corriger, s’il se trouve quelque chose en désordre ; suppléer, si quelque chose manque ; parfaire, si quelque chose de meilleur peut être fait » (De Regno, I, chapitre XV)". Intuition que vient confirmer au XIXe siècle le Pape Léon XIII dans son Encyclique Rerum Novarum : "c’est une erreur morale de laisser faire par un niveau social plus élevé ce qui peut être fait par un niveau social plus bas".
Par essence, le principe de subsidiarité repose donc sur la liberté et la responsabilité individuelles. Ce n'est qu'en respectant ces dernières que toute forme d'organisation pourra se conformer à la dignité humaine et au Bien Commun.
Certaines nations ont intégré le principe de subsidiarité pour régir les rapports entre l'État et les citoyens. C'est notamment le cas de l'Allemagne dont la loi fondamentale (constitution) consacre le principe de subsidiarité à l'article 72.2. L'état fédéral allemand ne peut intervenir que dans les domaines pour lesquels l'action des länders ne serait pas suffisante et efficace.
Plus récemment, l'Union européenne a elle aussi incorporé cette notion de subsidiarité dans son corpus juridique. Le traité de Maastricht de 1992, puis celui de Lisbonne en 2005, consacrent la subsidiarité en principe fondamental de l'UE (article 5 du TUE) pour organiser la répartition des compétences entre Bruxelles et les États membres.
Mais loin de se cantonner à la vie publique, le principe de subsidiarité nous invite à repenser l'organisation des rapports humains en entreprise.
De prime abord, la notion de subsidiarité appliquée au monde de l'entreprise peut sembler conceptuelle. En réalité, il s'agit de mettre en place des processus de management très concrets. Cela revient à (re)positionner le pouvoir de décision au plus près possible de l'action.
Bruno Julien-Laferrière, président de la Banque Transatlantique, précise : " le management par subsidiarité {…} consiste à confier la responsabilité d'une décision au niveau directement concerné par les effets de ladite décision. Un concept bien différent de la simple délégation qui se limite au transfert par un manager d'une partie de ses responsabilités dans un cadre précis".
Chaque tâche à effectuer est dévolue à la personne la mieux à même de la réaliser. Il ne s'agit donc pas d'une simple délégation. Dans un principe de délégation, le collaborateur réalise une mission mais son manager reste responsable du projet et de ses résultats. Lorsqu'on applique le principe de subsidiarité au sein de ses équipes, au contraire, le collaborateur jouit non seulement de la liberté d'action mais aussi de l'entière responsabilité de sa mise en œuvre.
Le principe de subsidiarité appliqué en entreprise correspond donc à un véritable renversement de la pyramide des décisions. En lieu et place d'une logique verticale ou descendante (top-down), dans laquelle les décisions sont prises par la hiérarchie qui les délèguent ensuite aux collaborateurs, on passe alors à une logique ascendante ou bottom-up : la décision appartient "à la base" et les managers ne prennent en main que les problèmes ne pouvant être résolus directement par leurs collaborateurs.
Comme nous allons le voir, utiliser le principe de subsidiarité dans l'organisation managériale d'une entreprise va nécessairement conduire à la responsabilisation de chacun au sein de la structure. Et les atouts ne s'arrêtent pas là. La subsidiarité implique un changement complet de paradigme en matière de culture managériale.
Le premier gain est évident : la logique subsidiaire va considérablement alléger le fonctionnement et la prise de décision au sein de l'entreprise. C'est un remède radical à la lourdeur bureaucratique (qui n'a pas en tête le terrible syndrome de réunionite aiguë qui touche nombre d'entreprises françaises ?). Les différents échelons n'ont plus à faire valider la moindre de leur initiative. C'est donc une évidente simplification des procédures qui permet de gagner en temps et en efficacité.
Ce qui ne signifie pas pour autant que les cadres et dirigeants soient eux-mêmes libérés de toute responsabilité vis-à-vis des échelons inférieurs. Pour Jean-Dominique Senard, ancien Président du Groupe Michelin et actuel Président du Groupe Renault, cette responsabilité revêt même une autre dimension :
"Ce principe, qui recommande que les échelons supérieurs ne se substituent jamais aux échelons inférieurs dans les affaires dont ceux-ci sont capables de s’acquitter de leur propre initiative, pose en corollaire le devoir d’assistance des premiers vis-à-vis des seconds. Aide, et non substitution, c’est-à-dire développement des capacités des différents échelons à conduire leurs affaires de façon autonome. En d’autres termes, intervention en cas de nécessité, puis retrait."
Les pratiques managériales basées sur la subsidiarité reposent sur un constat : donner à ceux qui sont "au plus près du terrain", la capacité de décider pour améliorer leurs performances et celles de l'entreprise. En langage moderne, on dirait que la subsidiarité, c'est l'empowerment des salariés.
Pleinement responsabilisé, chaque collaborateur est ainsi engagé dans la réussite du projet commun. La concrétisation d'un management bottom-up repose en effet sur des valeurs fortes, construisant un sentiment d'appartenance accru de l'ensemble des équipes à la l’entreprise. De façon prosaïque, c'est exactement la même chose qu'être locataire ou propriétaire de son logement : en portant la responsabilité, on a tendance à y faire plus attention et on s'y sent davantage "chez soi".
Chaque collaborateur bénéficiant de plus d'autonomie, il est ainsi conduit à réfléchir constamment à de nouvelles solutions. Le management par la subsidiarité est un formidable incubateur de créativité. Concevoir de nouvelles façons de travailler, peaufiner de nouvelles stratégies, être décisionnaire pour leur exécution... Les salariés sont ainsi encouragés à livrer le meilleur d'eux-mêmes.
Puisqu'elle repose sur une gestion en bottom-up, la subsidiarité implique nécessairement une grande autonomie pour l'ensemble des collaborateurs. Cette autonomie ne peut exister sans un climat de confiance instauré dans l'entreprise. Et la confiance, est, quant à elle, au cœur du bien-être au travail.
En offrant la possibilité à tous d'exprimer ses talents, cette conception de la culture d'entreprise oeuvre dans le sens du plein épanouissement de chacun dans la perspective du rayonnement de la communauté. La subsidiarité en entreprise s'inscrit dès lors dans le respect de la dignité humaine, indissociable à l'action en faveur du Bien Commun.
Adopter le principe de subsidiarité en entreprise est donc une piste intéressante d'innovation managériale. En favorisant l'épanouissement de chacun, il participe de l'action collective en faveur du Bien Commun.
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